Le Pech del Treil

Le Pech del Treil : sur le Chemin de Mémoire

Carrières du Pech del Treil
Entrées des carrières du Pech del Treil
Les carrières

    Sur la route de Gourdon, au lieu-dit « Larché », la « route des Maquisards » conduit aux carrières du « Pech del Treil », situées au-dessus du « Recluzel ». « Pech » dérive de l’occitan « Puèg » issu lui-même du latin « Podium » et désigne un lieu plat et surélevé. Les pierres de taille issues de ces carrières se retrouvent dans des sites architecturaux aussi divers que l’église et l’hospice de Fumel, le pont neuf de Bordeaux, ou encore des demeures bourgeoises d’Agen.

Le réseau « Vény »

    En 1941, Georges Archidice crée avec l’avocat Jacques Arès-Lapoque un groupe de résistance sur Monflanquin. Il est condamné à la peine de mort par contumace après avoir échappé à la Gestapo, à la suite de la malheureuse affaire du parachutage et des arrestations de Saint-Vincent-de-Lamontjoie (47). Devenu lieutenant-colonel des FFI, il est un des principaux artisans de la résistance dans le Lot-et-Garonne. Il passe dans la clandestinité et se réfugie à Cuzorn au nord de Fumel. En octobre 1943, sous l'autorité du général Vincent, alias « Vény », il organise le réseau « Vény » en 4 bataillons, dont celui de « Jack » au Pech del Treil. Dès le début 1944, ces bataillons sont parfaitement opérationnels, capables de mener des actions de récupération de matériel roulant et de parachutages alliés tout en protégeant efficacement ces opérations.

Des Résistants dans les carrières

    En 1943, les carrières sont abandonnées. Mais les résistants comme les Gilis d’« Augère », les Grousset de « Peyreblanc », les Rybacki de « Pechaudral », connaissent leur existence. Elles offrent un refuge sûr. Elles sont faciles à contrôler, car de nombreuses ouvertures sur les différents versants de la colline permettent une évacuation rapide en cas de danger. Elles sont tellement vastes qu’on peut y circuler en voiture.

    Le principal groupe qui stationne dans ce dédale souterrain est le bataillon « Jack » de Jacques Lévy. Jacques Lévy est né en 1899 à Paris. Il est actif dans les mouvements de la Résistance dès le début de 1942. À Agen, d’abord comme adjoint de Gaston Vedel dans le groupe « Victoire ». Puis en avril 1942, comme agent permanent du réseau « Brutus-Vidal ».

    En 1944, il participe à la création des groupes « Veny », dont il devient le commandant départemental adjoint. Son épouse Odette transporte des armes sous le manteau. À la gare d’Agen, les Allemands « apprécient » sa beauté, elle les qualifie d’un large sourire. Elle n’a jamais été inquiétée.

    En 1943, Jacques Lévy est chargé d’implanter un maquis dans le fumélois. Passé par la Dordogne, il descend la vallée de la Lémance pour atterrir dans la ferme de la famille Rybacki, au lieu-dit « Péchaudral », sur la commune de Blanquefort-sur-Briolance. D’origine polonaise, cette famille a fui son pays pour venir travailler dans les mines de Lorraine avant de s’installer dans cette ferme.

    Jacques Lévy acquiert une maison dans la vallée de la Lémance. Cette proximité avec les carrières facilite la communication avec son groupe qui prend le nom de « Jack » en 1943. Au 1er janvier 1944, l’effectif du groupe est de 6 hommes. Il passe à 95 hommes au 1er juin 1944. Dans le cadre d’actions coordonnées de guérilla contre l’ennemi, « Jack » intervient entre le Lot et la Garonne. Il participe à de nombreux sabotages et coups de main contre l'ennemi lors des opérations de libération du département.

Les plaques commémoratives

    Après la Libération, deux plaques fondues par la famille Rybacki sont apposées dans les carrières. La première en 1973 en souvenir du séjour clandestin du groupe, la deuxième après le décès de leur commandant en 1984. Aujourd’hui, elles sont installées sur la façade de l’ancienne école primaire de Condat, avenue Pelletan.


Les deux plaques à leur emplacement d'origine.

Parcours de résistants

Fernand Villard

    Parmi tous ceux qui rejoignent « Jack », citons Fernand Villard. Il est agriculteur à Cuzorn. Ce qui lui permet de fournir du ravitaillement au groupe. Une de ses missions consiste à effectuer des reconnaissances afin de repérer de futurs lieux de parachutages. Il fait circuler des tracts dans les usines de Saint-Front-sur-Lémance et de Sauveterre-la-Lémance. Il intègre le groupe le 22 février 1944, et il est démobilisé le 24 octobre 1944.

Le témoignage d’un réfractaire au STO

    Gilles Bagattin est né en 1922 en Italie. Il arrive en France à l’âge de 6 ans. Sa famille s’installe dans une ferme sur la commune de Soturac (46). il apprend le métier de boucher et se marie en 1942.

« Le 18 octobre 1943, la classe 42 est réquisitionnée pour aller en Allemagne au STO. Mais je ne suis pas parti, je suis devenu un réfractaire. Dieu merci, cela n’a pas eu de conséquences graves. L'oncle de mon épouse, Ernest Gilis d'Augère, m'a camouflé à Gavaudun, chez la famille Magimel, au milieu des bois, bien entendu. C'était une belle ferme au lieu-dit « Palagne ». Le 22 décembre 1943, mon épouse et son amie d'enfance, Paulette, sont venues me rendre visite à bicyclette. […] Quelques jours, auparavant, M. Magimel, mon hôte, m'a dit que je ne suis plus en sécurité chez lui. Il a appris qu'il y a des dénonciations de la part des collabos et autres serviteurs de Vichy. Il me conseillé de quitter sa ferme quelque temps, en attendant que ces choses horribles se calment. Je prrends donc la décision de rentrer à « Borie », comme me l'a conseillé ma femme : « tu iras te cacher dans les bois » me dit-elle. Au moment du départ, M. Magimel m'assure que je pourrais revenir chez lui dès que tout irait mieux.

Au soir du 22 décembre, il était 9 heures, me voilà sur mon vélo en direction de « Borie ». […] A onze heures trente je touche au but, je suis arrivé à Borie. Tout le monde m’attend, ma belle-mère, Mme Lafon, m’avait préparé une bonne soupe, comme elle savait si bien les faire. […] Je passe toutes mes journées caché dans la chambre. Je ne dois pas être vu du voisinage pour éviter toute dénonciation. En effet, mon épouse avait reçu une lettre de la Kommandantur de Lyon précisant que j'étais le seul manquant de Fumel. Elle disait aussi que si je ne me rendais pas dans les huit jours à Agen, il y aurait des représailles.

Ma belle famille me dissuade de me livrer. Elle prend alors de grands risques. Les gendarmes viennent questionner ma femme pour savoir où je suis parti. Elle leur répond que je l’ai quittée sans la prévenir et que depuis elle n’a aucune nouvelle de moi.

Ernest Gilis, d’Augère, oncle de mon épouse, avait aidé à la formation d’un camp de réfractaires au STO dans les carrières abandonnées du Pech del Treil. Le 6 juin 1944 au matin, je franchit l’entrée des carrières pour être affecté au groupe « Vény » dans l’unité combattante VR 46, commandée par Archidice.

Nous avons passé un mois dans ces souterrains. Puis nous avons quitté ce refuge pour la ferme de « La Taillade » près de Duravel (46), par crainte d’une dénonciation. Ce déménagement est motivé par la trahison de l’un des nôtres. Lors d'une expédition à la gare de Penne-d'Agenais, cet homme fut surpris en grande conversation avec un commandant allemand. De retour au Pech, le traître est interrogé et fusillé dans la journée.

Le séjour à la Taillade est très bref, ainsi que le suivant, effectué au château de Lacaussade. Puis on se retrouve à côté de Puymirol, au lieu-dit « La Fajole » sur la commune de Teyrac.

Après la libération du département, nous devions aller en renfort à Nevers mais le voyage n’a jamais eu lieu.

(L’état-major de la Résistance lot-et-garonnaise détecte une agitation subversive imminente dans le département. Il suspend alors l’envoi de nouvelles unités vers l’Est de la France et rappelle celles qui n’ont pas encore rejoint la 1ʳᵉ Armée du général de Lattre de Tassigny. NDLR).

Nous nous sommes retrouvés au camp de Bias. En octobre 1944, on me propose de choisir entre la poursuite des combats dans l’armée française et le retour au foyer. J’opte pour la seconde solution puisque je suis chargé de famille, j'ai une femme et une fille de moins de un an. »

En tant que boucher, Gilles Bagattin est responsable du ravitaillement et chef de la cuisine pour la préparation des repas des maquisards. Comment nourrir les 94 bouches du groupe « Jack », au moins deux fois par jour ? Gille Bagattin témoigne :

« En prélevant l’indispensable auprès des agriculteurs, des commerçants et autres, nous avons deux sources régulières d’approvisionnement en viande : l’abattoir de Fumel et la boucherie Talenton de Cuzorn.

Nous allons à l’abattoir de Fumel avec deux véhicules dont un a la mission de protéger l’opération de réquisition, Il y a des hommes en armes à bord.

(Les enfants du quartier ont l’habitude de jouer sur cette place, entre l’abattoir et la Gendarmerie. Un jour, ils découvrent une grenade perdue par les maquisards qu’ils s’empressent de… remettre aux gendarmes. NDLR).

Nous sommes chargés de prélever notre part sur la quantité de viande destinée aux troupes allemandes. L’opération se déroule en plein jour. Jamais nous n’avons été inquiétés par qui que ce soit tout au long de notre séjour au Pech del Treil.

La boucherie Talenton, à Cuzorn, posséde son propre abattoir. Une bête nous attend chaque fois que nous nous présentons. Nous découpons la part qui nous est réservée sans se soucier de ce que devient le reste de la carcasse. En matière de transport, nous procédons comme pour l’abattoir de Fumel.

Un jour, un lieutenant de notre groupe, demande à trois d’entre nous de le suivre dans une mission de réquisition de bétail pour la redistribution à la population. Confiants, nous l’avons suivi en effectuant correctement la répartition de la viande auprès des
bouchers de Fumel. Deux ou trois jours plus tard, nous voilà, tous les quatre, convoqués par Jack et menacés de passer devant le peloton d'exécution pour avoir fait cette réquisition sans ordre du commandement. Surpris par la tournure prise par les suites de
cette opération, nous tent
ons de nous justifier en disant que nous pensions bien faire. De plus, c'était un ordre qui nous avait été donné par le lieutenant, notre supérieur hiérarchique. Nous nous sommes tirés de ce mauvais pas parce que Jack a pu vérifier
que chaque partie prenante de la 'Bonne Action', imaginée par le lieutenant, avait reçu et payé son dû. Mais le commandant nous f
ait bien comprendre qu'il est hors de question de prendre des initiatives personnelles, au risque de mettre en péril tout le bataillon ! ».

Le groupe « Kleber »

    Les carrières voient passer d’autres groupes. En particulier « Kleber » de Pierre Montès alias « Montereau ». Il est présent au Pech au moment des évènements de Tournon-d’Agenais, le 3 juillet 1944.

Résumé de l’entretien avec Pierre Montès

Pierre Montès au moment de son témoignage en 2012.

    En septembre 1943, Pierre Montès, né à Fumel ou ses parents sont charcutiers, part poursuivre ses études secondaires à Villeneuve-sur-Lot. D’abord interne, ses parents le placent chez des amis dont le commerce est situé près de l’établissement scolaire. En marge de leur activité officielle, les hôtes de Pierre ont un passe-temps un peu particulier : ils s’occupent de parachutages et délivrent de fausses cartes d'identité. Ils appartiennent à l'Armée Secrète.

    Tout naturellement, Pierre se piqua au jeu, de sorte qu'à partir de novembre 1943, il participe à la récupération de trois ou quatre parachutages, notamment près de Tournon-d’Agenais. Le mode opératoire est le suivant : l'avion fait un premier passage, les équipes au sol envoyent le signal » .-.- » à l'aide d'une torche et l'avion largue le matériel lors de son second passage. Les alliés livrent le matériel dans des conteneurs qui se dispersent plus ou moins dans la nature lors du largage. Pierre et ses camarades n’en perdent qu'un seul au cours de l'ensemble des opérations. Il ne fut certainement pas perdu pour tout le monde, racontait-il. Cette sortie de nuit n'est pas sans risques : la première fois, Pierre doit essuyer le feu de la mitrailleuse de l'avion au cours du deuxième survol. Manifestement ce ne devait pas être un appareil anglais. Le transport des armes vers les caches se fait en les dissimulant sous le tas de charbon de la camionnette de livraison roulant au gazogène, ses hôtes sont charbonniers. Elles sont ensuite dissimulées dans de vieux bâtiments situés dans les jardins se trouvant sur la droite de la route de Fumel, près de l'ancienne piscine de Villeneuve. Ensuite le matériel est réparti.

    Pour leur annoncer un parachutage, la radio de Londres diffuse des messages contenant des phrases dont le sens est seulement connu des maquisards, par exemple : « Ils nagent sous l'eau » suivie du code « S.-.- ». Parmi les personnes qui s'occupent de la récupération des parachutages, il y a le directeur de l'établissement scolaire que fréquente Pierre. Ainsi, quand il rentre au petit matin et n'est pas forcément à l'heure pour reprendre les cours, il peut compter sur le mot d'excuse du directeur. Cela permettait de ne pas éveiller les soupçons. Car, il y at dans sa classe des individus qui appartiennent à la milice de Vichy. Parmi eux, un certain Péribeyre, celui-là même qui a assassiné Pierre Denuel du groupe « Soleil » au cours d'une mission de reconnaissance de ce dernier dans le villeneuvois.

    Pierre se souvient de son inexpérience concernant les armes. Les grenades et les détonateurs étaient reçus dans des conteneurs séparés. Ainsi, au milieu d’un bois, devant deux cents grenades en tas, les voila chargés de reconstituer ces bombes sans aucune instruction. Pierre ayant remarqué qu'il y a une pièce qui se dévisse et laisse apparaître un logement dans lequel il peut insérer l'amorce, il fait passer la consigne à ses compagnons pour armer chacune des grenades. Cette inexpérience est vite comblée par l'instruction fournie par d'anciens militaires du groupe ainsi que par la simplicité de montage du matériel comme les Colts ou les mitraillettes Sten. Les fusils mitrailleurs étaient plus complexes à mettre en œuvre, se souvient Pierre : c'était un vrai puzzle.

    Pierre Montès s'occupe aussi d'établir de fausses cartes d'identité destinées principalement aux réfractaires au STO et aux Juifs. Elles sont réalisées à partir de formulaires officiels qui ont été récupérés après avoir incendié une mairie dans les Pyrénées. A l'époque, ce sont les mairies qui délivrent les cartes d'identité. Il en possé- de deux personnellement.

    Il s’en sert pour franchir la ligne de démarcation quand il se rend chez son oncle, percepteur à Sauveterre-de-Guyenne (33). Il profite de l’occasion pour porter des messages. Grâce à ces cartes, Il peut aider une famille juive de Dausse (47). Après la guerre, ses recherches lui permittent de retrouver une autre partie de cette famille aux USA.

    Son frère, Charles, est expédié en Allemagne dans le cadre du STO. Mais il profit de sa première permission pour s’évanouir dans la nature et rejoindre le maquis. Ceci rend périlleuse la situation de Pierre. Il imagine une voie de dégagement au cas ou les autorités vichystes seraient venues le chercher. Il enjamberait la fenêtre de sa chambre d’étudiant pour fuir par le toit voisin en emportant la valise contenant ses armes servant de protection lors des parachutages.

    Lui-même et ses compagnons du même âge sont motivés par un fort sentiment patriotique qui peut les conduire à commettre des actes de résistance dont l’issue pourrait être fatale, mais ils n’en ont pas conscience. « A dix-huit ans, on ne meurt pas !. »

    Le destin de Pierre Montès bascule au moment où intervient le débarquement en Normandie. Son engagement antérieur ne peut pas le tenir éloigné des opérations à mener pour neutraliser les voies de communications de l’ennemi. Il lui est impossible de passer le baccalauréat dans des conditions normales. Comme il est lâché dans la nature, on organisera pour lui et ceux qui sont dans son cas un traitement particulier pour qu’ii ne perde pas son année scolaire.

    Au début du mois de juillet, son groupe cantonne dans les carrières du Pech del Treil. Depuis le débarquement intervenu en Normandie le 6 juin 1944, il est impératif récupérer d’autres armes. Le 3 juillet, très tôt le matin, un camion part des carrières du Pech del Treil pour se rendre à Boé, près d’Agen, où il y a une caserne de GMR. L’abbé maquisard Dieulafait se présente seul à la caserne. Après discussion, il obtient des armes et des vêtements qui sont chargés sur le camion.. Sur le chemin du retour, arrivés au pied de Tournon-d’Agenais, près du pont sur le Boudouyssou, les occupants du camion sont prévenus par des habitants de la présence des Allemands dans le village. Leur véhicule reçoit un obus sur le capot du moteur. Pour échapper aux soldats, ils descendent le long du ruisseau puis remontent vers le bourg de Bourlens où les attend Pierre Montès. Ils rentrent sains et saufs au Pech del Treil.

    Ce jour-là, le 3 juillet 1944. Les Allemands viennent d’investir le village de Tournon-d’Agenais. Ils le pillent, arrêtent des habitants et des résistants de passage, les torturent et fusillent 11 personnes.

    Il faut continuer la neutralisation des voies de communications, car le deuxième débarquement, celui de Provence, est imminent. Les groupes du fumélois se dirigent alors vers la vallée de la Garonne pour saboter la voie ferrée Bordeaux-Marseille. Le 17 août le sabotage est réussi malgré le massacre de résistants dans une embuscade qui leur est tendue à Saint-Jean-de-Thurac (47). Deux jours plus tard, le 19, les Allemands abandonnent Agen. La semaine qui suit voit s’achever la libration du département.



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