Cante-Perdrix, plaque tournante de la Résistance lot-et-garonnaise
Cante-Perdrix, PC de la Résistance : sur le Chemin de Mémoire
L'effondrement de la France
La débâcle du début de l'été 1940 amène dans le Nord-Est du Lot-et-Garonne des civils et des militaires. Il suivent la voie de chemin de fer Périgueux-Agen pour fuir l'avance des troupes allemandes. Sans ressources, cette population se disperse dans les campagnes environnantes à la recherche de nourriture et d’un abri.
C'est dans ces circonstances que M. André Grousset ouvre sa porte à ceux qui viennent y frapper. Dans sa ferme de « Peyreblanc », il héberge déjà deux jeunes Républicains espagnols. A ces deux réfugiés s'ajoutent des Alsaciens-Lorrains qui se sentent menacés par l’avance des nazis.
La première résistance dans la vallée de la Lémance
Le franchissement de la ligne de démarcation par les troupes allemandes, après le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, le 8 novembre 1942, renforce l'hostilité d'une partie de la population locale à l'égard de l'envahisseur. La configuration géographique de cette partie du Cuzornais présente un intérêt certain pour tous ceux qui cherchent à se dissimuler des autorités collaborationnistes. L'habitat est dispersé, la forêt est omniprésente, le terrain est très vallonné et les grands axes de communication sont éloignés. Ce secteur est donc favorable à l'établissement des premiers maquis.
Ces groupes ont besoin d'armes pour pouvoir affronter les Allemands, le moment venu, et pour commettre des sabotages afin de désorganiser l'occupant. A la suite de contacts pris avec le SOE anglais et par la suite avec le BCRA français pour organiser des parachutages à leur profit. Les gouvernements anglais et américain ne s'enthousiasment pas. Le SHAEF est méfiant à l'égard des résistants français. Il les croit possiblement noyautés par les communistes et de ce fait leur fournit très peu de matériel. Les maquis français passent après les maquis italiens et yougoslaves. Ces deux pays sont importants pour Churchill. Il veut en faire une tête de pont pour enrayer l'avancée russe sur l'Europe occidentale.
Grâce au travail d'unification des mouvements de résistance mené par le général De Gaulle et son représentant en France, Jean Moulin, les Alliés finissent par admettre que cette résistance deviendra un atout majeur lorsqu'ils débarqueront sur les côtes atlantiques ou méditerranéennes. Alors, les résistants sont chargés de sillonner la campagne à la recherche de terrains de parachutage. C'est ainsi que la ferme d'André Grousset devient l'un des nombreux centres névralgiques des activités clandestines pour les maquis. Ne pouvant accueillir tout ceux qui affluent dans sa maison, il décide de louer la ferme voisine de « Cante-Perdrix ». A partir de ce moment, ce lieu va voir passer tous ceux qui comptent dans la Résistance locale et régionale.
Les parachutages
L'homologation d'un terrain de parachutage répond à des préconisations très précises. Il doit être suffisamment éloigné des routes et des habitations pour ne pas éveiller de soupçons. Il doit être le plus plat possible et dégagé d'éventuelles broussailles. Il doit être assez long pour permettre le survol en rase-mottes ; 300 mètres de large et 400 mètres de long sont un minimum. Une position surélevée est idéale. Il doit, de préférence, être en lisière de forêt ou entouré de bois pour garantir un repli en cas de nécessité et servir de cache provisoire pour le matériel reçu.
Une fois le terrain identifié localement, il reste à organiser les parachutages. Le chef de terrain doit recruter des hommes pour mettre sur pied le comité de réception. Ensuite, il faut envoyer par contact radio, à Londres, les coordonnées cartographiques. Dans la foulée, les Alliés procèdent à une vérification par prise de vue aérienne. Le terrain, accepté et homologué, reçoit un code à usage unique. Deux messages personnels uniques lui sont attribués. Il est enfin classé dans l'une des deux catégories suivantes : « home » pour le parachutage des personnes et « arma » pour le matériel. Le tout est transmis par radio au chef de terrain.
Commence alors, pour le comité de réception, l'attente du message de confirmation de parachutage. Si le message de la BBC est diffusé à 13 h, cela signifie « parachutage la nuit prochaine » puis la BBC diffuse la confirmation à 17 h et 21 h.
Rendus sur le terrain correspondant au message émis par la radio, et alertés par le bruit de l'avion approchant, trois des maquisards se positionnent tous les 100 mètres en ligne droite avec leur torche allumée, et le chef de terrain se place à 30 mètres du dernier et émet avec sa lampe blanche, en code morse, l'identifiant du terrain. Au premier passage de l'avion, l'équipage reconnait l'identification puis fait demi-tour et largue sa cargaison. Le comité de réception récupère les conteneurs puis les cache temporairement dans les environs ou les charge directement sur des véhicules motorisés ou sur des charrettes tirées par des attelages de vaches.
Fin 1942 ou début 1943, en compagnie de ses voisins, dont Ernest Gilis, et amis de confiance, André Grousset va participer à la récupération des premiers containers d'armes livrés par un avion de la Royal Air Force britannique. La radio de Londres, la BBC, diffuse dans la journée le message « il faut sortir l'édredon quand il fait trop chaud ». C'est le signal qu'un parachutage va avoir lieu. 15 conteneurs sont réceptionnés. Ils sont d'abord cachés dans une ruine près de la ferme de Ernest Gilis, à Augère. Ensuite, avec une charrette tirée par des bœufs, André Grousset les cache dans un fossé, sous des branchages. Après avoir été vidés, les conteneurs sont jetés dans un minier à Peyreblanc, où ils y dorment encore. Les toiles de parachute sont enterrées dans un minier mais servent aussi à confectionner des robes, des chemisiers...
Le mauvais temps qui sévit sur l'aérodrome de départ de l'avion ou sur son trajet peut conduire à l'annulation d'un parachutage. Des conteneurs peuvent être perdus au moment du largage parce que les pilotes ont mal apprécié les distances et les positions. Enfin, la mauvaise réception au sol peut occasionner la destruction du contenu. C'est le cas d'un poste de radio attendu par le groupe d'André Grousset.
Le contenu des containers, de 1,70 m de long et 0,30 m de large, est rempli de matériel militaire, solidement arrimé. Il y a des mitraillettes Sten, des cartouches, des pistolets, des grenades. Parfois, il peut y avoir aussi des bazookas, des tenues de campagne, des explosifs, des cigarettes, du chocolat, et plus rarement de l'argent. Sur la coque des conteneurs figure une inscription indiquant leur nombre et une autre le type de contenu.
Cuzorn a bénéficié de plusieurs parachutages. Selon la fille d'André Grousset, au cours de l'un d'eux, au moins 15 parachutes sont tombés à Talou, près d'Augère. Les restes des conteneurs sont toujours enfouis dans le minier où ils ont été jetés après avoir été vidés de leur contenu par Emile Erhard et ses compagnons.
Destination des armes
Toutes les localités ne bénéficient pas des conditions idéales pour recevoir des armes par parachutage. Il s'agit, pour la Résistance, de constituer des réseaux de distribution. La gare de Cuzorn va etre le point de départ de colis très spéciaux. De cette gare partent les premières armes recueillies par André Grousset, à la demande d'Emile Erhard, et avec la complicité du chef de gare, résistant lui-même. Des colis partiront vers la gare de Montauban pour armer d'autres Résistants.
La Résistance à Cante-Perdrix : une histoire sortie de l'oubli
Grâce au travail de Jean-Pierre Almaraz, petit-fils d'André Grousset, une mémoire conservée dans le cercle familial de certains participants aux événements refait surface.
Outre l'hébergement des réfugiés, puis des maquisards, Cante-Perdrix voit passer des armes, des explosifs, un stock de pneus pour les véhicules du maquis... Mais il faut aussi former les hommes au maniement de tout ce matériel. La sécurisation des lieux est une priorité. C'est pourquoi la prudence est de mise et des suspects sont enfermés dans les loges à cochons avant leur interrogatoire.
De nombreuses personnalités marquantes de la Résistance passent par Cante-Perdrix. Citons Jacques Arès-Lapoque l'avocat des Résistants, Jacques Lévy du réseau Brutus-Vidal et fondateur du groupe « Jack » au Pech del Treil, le commandant Roger Masson du bataillon Labrunie-Masson et chef de l'Etat-Major de la Résistance du Lot-et-Garonne, ou encore Marcel Lavergne, chef de bureau à la préfecture d'Agen et fournisseur des tickets d'essence pour les véhicules de la Résistance (André Grousset en fait bénéficier le boulanger pour qu'il puisse effectuer ses tournées).
Deux autres personnes doivent être considérées comme les véritables chevilles ouvrières du dispositif installé à Cante-Perdrix :
Emile Erhard est un mulhousien, militant socialiste depuis 1926. Plus tard, il prend la présidence des Jeunesses Socialistes du Haut-Rhin. En 1928, il travaille pour le quotidien de la SFIO, Republikaner/Républicain du Haut-Rhin. La montée du nazisme en Allemagne, et celle de l'extrême-droite alsacienne lui donnent l'occasion de publier de nombreux articles sur la réalité de la peste brune. Comme partisan du Front Populaire Français, il n'hésite pas à pratiquer le « coup de poing » contre les extrémistes. De même, sa sensibilité politique le conduit à partir en reportage dans l'Espagne républicaine, en novembre 1936, pour informer ses lecteurs. A son retour, il préside le comité mulhousien d'aide à l'Espagne.
Le retour de l'Alsace dans le giron allemand après la victoire des nazis pousse Emile Erhard à se réfugier dans le Lot-et-Garonne. Très vite, il joue un rôle important comme agent P2 (agent permanent) dans le réseau de renseignement Gallia et Brutus, en relation avec le B.C.R.A. (Bureau Central de Renseignements et d'Action). Son ennemi le plus dangereux, le S.D. (Sicherheitsdienst) détecte son activité et charge la Gestapo de son arrestation. Après avoir échappé aux griffes de la police politique d'état allemande, Emile Erhard participe à l'organisation et à l'armement des maquis du Sud-Ouest, de concert avec le réseau « Vény ». Son épouse, Marie-Louise, d'origine allemande, lui apporte une aide précieuse. Employée à la préfecture d'Agen, elle profite de sa position pour recueillir tout renseignement utile à la cause de la Résistance. Il est aussi chargé d'analyser les lettres envoyées aux autorités par les délateurs. Ces missives souvent anonymes, riches en renseignements, sont interceptées par M. Roux, facteur à Cuzorn. Il est aussi responsable de la rédaction, sur une machine à écrire, des courriers et des rapports de la Résistance locale. Le nerf de la guerre, c'est l'argent. Il dissimule de fortes sommes, soit environ 12 millions de francs de l'époque ! Fin 1945, il écrit dans le Réveil Socialiste : « chez Gilis ou Grousset à Cuzorn, chez cette foule de braves gens qui nous hébergeaient et nous faisaient asseoir à une table sans jamais rien nous demander. Il suffisait de savoir que nous étions de la Résistance, pour nous ouvrir toute grande leur porte à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit. ».Georges Archidice est un fils d'agriculteurs lot-et-garonnais devenu instituteur en 1931. Il exerce notamment à Libos avant de devenir professeur d'histoire dans un cours complémentaire à Agen. Il s'engage dans la résistance à partir de janvier 1941. Condamné à mort par un tribunal militaire allemand, il entre en clandestinité pour échapper à la police allemande. Lors de sa fuite, il trouve refuge à Cuzorn dans la ferme d'André Grousset. Depuis ce lieu qui devient son P.C., il s'emploie à organiser les réseaux « Veny » dans le département. Il est condamné à 5 ans de travaux forcés, en 1944, par la section spéciale d'Agen. Il est, depuis 1942, délégué régional du Comité d'Action Socialiste clandestin pour le Lot-et-Garonne, le Gers, le Lot et le Tarn-et-Garonne. Membre du Comité départemental de Libération, situé à Montauriol. Il y siège au titre de la SFIO et comme commissaire du gouvernement près le tribunal militaire d'Agen avec le grade de lieutenant-colonel des F.F.I..
Le 21 mai 1944
En Allemagne, en 1939, les nazis créent la division « Das Reich », composée de 15 000 hommes et de centaines de chars. Elle devient une troupe d'élite de la Waffen SS. Défaite sur le front de l'Est, en Russie, où elle a perdu environ les 4/5e de son effectif, la division arrive à Montauban le 6 avril 1944 pour se reconstituer en intégrant de nouvelle recrues. Commandé par le général SS Lammerding, l'état-major de la division s'installe dans la ville. Les 2 500 vétérans SS cantonnent le long de la vallée de la Garonne, d'Aiguillon à Montauban, en passant par Valence d'Agen, Moissac, le camp de Caylus où Caussade ; soit une cinquantaine de localités de la région. Ils reçoivent le renfort de 9 000 recrues âgées de 17 à 18 ans. Parmi elles, on trouve 900 « Malgré-nous ». Ce sont de jeunes Alsaciens, souvent enrôlés de force.
Les techniques de combat et les modes de répression des civils expérimentées en Russie vont être mises en œuvre par cette sinistre divison pour faire déferler une vague de violences et de massacres sans précédent sur notre région.
Le 2 mai 1944 marque le début des attaques de la Das Reich sur les villes et villages du Sud-Ouest. Ce jour-là, des chars s'entrainent près de Montpezat-de-Quercy. Des coups de feu sont tirés dans leur direction. Des représailles sont alors ordonnées contre la population civile. Le commandement allemand n'ignore pas que les Alliés préparent activement un débarquement sur les côtes de France. Il craint que la Résistance ne lui cause des difficultés lors du déplacement de la division vers les futurs champs de bataille. Il décide alors d'entreprendre de vastes opérations de déstabilisation des appuis des maquisards en rééditant le massacre de Montpezat-du-Quercy.
C'est ainsi que dans la nuit du 20 au 21 mai 1944, une unité de la Das Reich quitte Caussade dans le Tarn-et-Garonne. Elle se déploie sur un arc de cercle allant de Villeneuve-sur-Lot (47) à Frayssinet-le-Gélat (46). Dans le cuzornais, des éléments motorisés remontent la vallée de la Lémance tout en se dispersant sur les chemins attenants à la route nationale. Le bruit des moteurs alerte les maquisards dans le secteur de Peyreblanc. Ces derniers ne tirent pas, faute d'un effectif suffisant pour affronter une contre attaque allemande.
Les Allemands sont bien informés et préparés. Ils ont des plans précis pour éliminer tous ceux qu'ils appellent « terroristes ». Dans un premier temps, ils se mettent à la recherche de Pierre Règnerie. C'est un réfugié de l'Est de la France qui parle allemand. Lorsqu'ils arrivent à la scierie d'André Grousset, située à l'embranchement de la route d'Augère avec la route nationale, ils le demandent pour qu'il serve d'interprète mais il est parti se cacher en entendant les véhicules, Les Allemands prennent quelques jeunes en otages et menacent de les fusiller si Pierre Règnerie ne se livre pas. Conscient du danger encouru par ces jeunes, l'homme se rend aux soldats. lI est immédiatement arrêté et déporté, le soir même, avec les hommes de Lacapelle-Biron.