Rouziès

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La compagnie « Dollé » : sur le Chemin de Mémoire

La ferme de Roueiès de nos jours.


    Cet article est un résumé du journal de marche de la compagnie « Dollé » imprimé à compte d’auteur et publié par Maxime Guénet sous le titre : Capitaine DOLLE.

Les débuts en Dordogne

    René Scheidweiler est né en 1919 à Guinzeling dans le département de la Moselle. Malgré sa santé très fragile, il est quand même mobilisé en 1939. Il est démobilisé après l’armistice du 22 juin 1940. Expulsé en novembre de la même année à la suite de l’annexion de la Lorraine mosellane par le IIIᵉ Reich, il se retrouve en Dordogne où, sous l’alias « Salers », il monte un groupe de Résistance dès l’hiver 1941 en relation avec le mouvement « Combat » de l’AS (Armée Secrète). Il risque plusieurs fois l’arrestation.

    Au cours de la dernière, à Thiviers (Dordogne), il échappe d’extrême justesse à la Gestapo. « Grillé » dans ce département, il le quitte pour Argentat en Corrèze, où il apprend qu’on l’attend en Lot-et-Garonne pour venir au secours d’un cousin.

Création de la compagnie « Dollé » à Trentels

    René Scheidweiler arrive à Villeneuve-sur-Lot et on lui confie la mission de créer un groupe de Résistance. Après une brève tentative au Château de Lalande à Saint-Sylvestre-sur-lot, il préfère la discrétion de la ferme d’Elie Thoueilles au lieu-dit « Recet » sur la commune de Monségur, près de Saint-Aubin.

    Il est évidemment fiché dans tous les services chargés de la répression des résistants. Il doit donc changer d’identité. En regardant un calendrier kangourou, il voit sur la pochette une publicité pour les faucheuses « Dollé ». Sans plus chercher, il décide de prendre ce patronyme pour pseudo. Ainsi, en septembre 1943 est créé le maquis « Dollé » dans la ferme des Thoueilles.

    Bientôt, les jeunes gens requis pour le STO. affluent. Le groupe de René Dollé devient leur planche de salut même si les conditions de vie sont extrêmement précaires. Au début, en automne 1943, il n’y avait que deux ilôts de Résistance. L’un à Saint-Sylvestre-sur-Lot, l’autre à Trentels, où Elie Thoueilles est déjà dans l’action clandestine.

    Au cours de l’hiver et du printemps suivant, le recrutement s’amplifie pour s’étendre à Trentels-Ladignac, Saint-Aignan, Saint-Aubin et Monségur. Les recrues sont des réfractaires au STO (Service du Travail Obligatoire).

    Pour prendre soin des blessés, le capitaine Dollé, fait appel au docteur Robert Boquet qui exerce son art de chirurgien au château de « Salomon » sur la commune de Saint-Vite-de-Dor près de Fumel.

La compagnie « Dollé » après le 6 juin 1944

    Le groupe de résistants s’équipe grâce aux livraisons d’armes et de munitions via les parachutages des Alliés, reçus à partir du 19 mai 1944 sur le terrain de « Rivalet » à Trentels. Grâce aux explosifs reçus, il s’intéresse à la ligne Agen-Périgueux. Les ponts de chemin de fer de Ladignac et de Lustrac reçoivent leurs fréquentes visites dans le but de les plastiquer pour perturber le trafic de marchandises de l’occupant nazi. Le viaduc des « Ondes » a aussi l’honneur de servir de cible.

    Dès le débarquement du 6 juin, l’ensemble de l’effectif est rassemblé autour du « Recet ». Dans un premier temps, l’effort est porté sur la collecte de renseignements pour localiser l’ennemi. Ensuite la première tentative de dynamitage des ponts de chemin de fer de Ladignac et Lustrac échoue, les détonateurs sont vides. La suivante est la bonne.

    Après avoir vainement attendu 3 jours des parachutistes alliés sur le terrain de « Sembas » au Sud-Ouest de Villeneuve-sur-Lot, au cas où le débarquement en Normandie aurait échoué, le groupe cantonne quelque temps dans les bois de la « Côte Rouge » à « Pailloles », au Sud de Castelnaud-de-Gratecambe. Puis le 13 juin, les 135 hommes rejoignent le château de « Cadrès » au Nord de Saint-Sylvestre-sur-Lot.

    Le 17 juin, une section accompagnée d’éléments du groupe « Kleber » se rend à Villeneuve-sur-Lot. Un accrochage avec la Milice fait un mort chez les maquisards. Mais la mission est un succès : coupure de la route de Bergerac en abattant deux arbres en travers de la chaussée et sabotage du pont de « Soubirous ».

    Le 20 juin, la formation est à Monségur. Le lendemain, un coup de main est organisé pour récupérer avec succès 6 camions chargés de conserves en partance pour l’Allemagne. Au retour, un de leur véhicule s’attarde à Villeneuve-sur-Lot. Il croise un camion allemand. Les maquisards engagent le combat. Le bilan est lourd, deux morts dans leurs rangs et une passante abattue. Quelques jours plus tard, nouvelle mission, nouveau succès : il s’agissait de saboter 2 ponts de chemin de fer à Malause près de Valance-d’Agen dans le Tarn-et-Garonne.

Des prisonniers allemands à « Rouziès »

    En cantonnement à « Rouziès », près de Bonaguil, « Dollé » ordonne une mission de reconnaissance sur l’axe routier Bonaguil-Villeneuve-sur-Lot en passant par Fumel. Arrivés à la hauteur du pont de Port-de-Penne, les maquisards surprennent 3 Allemands en train de se baigner dans le Lot. Les 3 hommes, les armes, les munitions et le véhicule sont aussitôt ramenés au campement.

    Dans les jours qui suivent, une nouvelle patrouille envoyée à Villeneuve-sur-Lot ramène 2 prisonniers allemands supplémentaires. Ces détenus, sauf un qui demande à rester, sont échangés contre des maquisards tombés entre les mains de l’ennemi. Le groupe fait aussi main basse sur une cargaison de boites de conserves et il s’empresse de la répartir équitablement entre la population locale et ses hommes. Alerté de la présence de miliciens à Dausse, le capitaine Dollé envoie une unité pour les prendre en chasse, mais ils perdent leur trace dans les rues de Fumel.

Second parachutage à « Rivalet »

    A la mi-juin 1944, un message de Radio Londres annonce un parachutagesur le terrain de « Rivalet » pour les « Dollé ». 17 personnes sont mobilisées pour la récupération. Le dispositif de sécurité est en place. Des guetteurs sont positionnés aux points vulnérables. Deux gendarmes de Port-de-Penne, après avoir déclaré à leur brigade qu’ils iraient « aux champignons » cette nuit-là, s’occupent de la circulation au carrefour de la route de Saint-Aubin avec la route nationale Trentels-Libos. Les charrettes sont attelées. La lettre « L », code du terrain, est prête à être envoyée avec une lampe. Soudain, un avion Lancaster Canberra lâche 18 conteneurs au troisième survol puis salue d’un battement d’ailes avant de disparaître dans la nuit. Les cylindres sont aussitôt enterrés près de la ferme du « Recet ». Un conteneur supplémentaire est retrouvé le lendemain sur un arbre, suspendu au bout de son parachute.

Evasion à la Maison Centrale d’Eysses

    Le 18 juillet 1944, les « Dollé » reçoivent l’ordre de faire évader 45 patriotes incarcérés à la Centrale villeneuvoise. Le lendemain, à 19 heures, toute la compagnie est devant la prison. Après avoir forcé les 2 portes d’entrée avec leur camion servant de bélier, elle se fait remettre, sans coup férir, les 45 hommes. De retour à « Rouziès », l’interminable attente continue, ponctuée par l’entrainement au combat.

Vers la libération du Lot-et-Garonne

Le 1er aout 1944, sur instruction de l’état-major FFI de Lot-et-Garonne, la compagnie est intégrée au bataillon « Geoffroy » commandée par Jean Vermont. Le 9 aout, déplacée du côté des « Tricheries » au Nord-Est de Laroque-Timbaut, elle reçoit un ordre de mission sur Tonneins. Objectif : le château de Ferron où siège la Milice. Trois maquis sont prévus pour mener à bien l’opération. Mais on ne fait pas appel aux « Dollé » qui repartent vers les « Tricheries ». Quelques jours après, ils apprennent que l’opération avait avorté. Toutefois, le château de Ferron a été bombardé par la RAF, ce qui pousse les miliciens à abondonner leur position.

« Marquet »

    le 15 aout, à bord de 3 véhicules, 10 responsables du bataillon « Geoffroy » dont font désormais partie les « Dollé » sont en reconnaissance au lieu-dit « Marquet » sur la commune de Saint-Romain-le-Noble. Des Allemands, camouflés dans les bois sur la crête dominant la vallée de la Garonne ouvrent le feu et abattent 4 résistants. Jean Vermont, le commandant, est blessé et remplacé par Dupré qui mène à bien l’opération de sabotage de la voie ferrée entre Lafox et Bonencontre.

Le combat de Saint-Jean-de-Thurac

    Le 17 aout 1944, au petit matin, le capitaine « Dollé » prépare la coupure de la nationale 113 à la hauteur du lieu-dit « Le Noble ». Des charges explosives sont installées sur 2 arbres pour les abattre au moment opportun. 2 camions allemands se dirigent vers l’Est. Les charges explosent et les arbres s’abbattent, mais trop tard, ils sont passés. Les « Dollé » les prennent en chasse et endommagent un des 2 camions. Ces derniers se garent après le pont sur le canal à la sortie de Laspeyres pour procéder aux réparations et prendre soins de leurs blessés. Ils réussissent à repousser l’assaut des « Dollé », obligés de battre en retraite. Les hommes se regroupent à un kilomètre à l’Ouest des camions. Le capitaine imagine un plan pour prendre à revers les Allemands : passer par le pont du « Noble », aller sur Saint-Nicolas-de-la-Balerme et revenir dans le dos de l’ennemi.

    A l’approche du « Noble », un feu nourri s’abat sur le convoi des maquisards. Environ 200 miliciens postés sur les flancs de la colline à droite de la route nationale déciment les résistants qui viennent à manquer de munitions. C’est un carnage. A midi, le combat cesse. Le bilan est lourd pour la Résistance. Sept résistants sont abattus, neufs sont blessés et huit sont faits prisonniers. Sans instructions de la part de l’état-major FFI, la formation « Dollé » revient sur ses bases de départ à Saint-Sylvestre-sur-Lot. Les obsèques des disparus ont lieu le 20 aout.

Résumé de l’entretien avec Elie Porté
Elie Porté en 2012

    « J'avais 19 ans et je désossais de la viande que l'on mettait en boîte dans une usine de conserves à Villeneuve-sur-Lot qui travaillait pour l’Allemagne. Un jour, les Allemands sont venus. Ils nous ont dit qu'ils avaient besoin de bouchers dans leur pays pour faire le même travail. J'en ai parlé avec un copain et nous avons décidé de ne pas aller en Allemagne. Nous savions qu'il y avait un groupe de résistants nommé « Dollé ». Nous les avons contactés et rejoints. Le capitaine Dollé était un homme bien, un Lorrain. Il était venu en Lot-et-Garonne pendant la guerre. A St-Sylvestre tout le monde le savait.

    Quand je suis entré dans le groupe, je me suis retrouvé au château de Lalande où j'ai couché une fois (mes parents habitaient à côté) puis à Bonaguil, dans le bois de la ferme de « Rouziès ». J'ai participé à un parachutage à St-Aubin. On avait récupéré une quinzaine de conteneurs que l'on a ramenés avec des vaches. Un des parachutes est resté pendu à un arbre, aux « Ondes ». Le tissu était solide, on confectionnait des vêtements. A la longue, il jaunissait.

    Une quinzaine de jours après, nous sommes allés du côté de St-Victor, aux « Tricheries », sur la route de Tournon-d’Agenais à Agen, près de Laroque-Timbaut. Puis ce fut Lamagistère et Saint-Jean-de-Thurac.

    Sur la route de Laspeyres à St-Jean-de-Thurac, j'étais installé avec mon arme sur l’aile d’une voiture et une camionnette qui transportait une mitrailleuse Hotchkiss fermait la marche. Au « Noble », 200 miliciens nous attendaient. Ils ont commencé à tirer, sont passés de l'autre côté du canal et nous ont copieusement arrosés. Lorsque l'accrochage a eu lieu, la mitrailleuse n'était pas correctement orientée. Il était impossible de la retourner pour se défendre. J'ai quitté la traction avant pour me protéger derrière les platanes puis j'ai commencé à tirer avec un mousqueton, mais je n'avais que trois ou quatre balles. J'ai tiré deux ou trois coups avec ce mousqueton qui me sciait l'épaule chaque fois que je tirais.

    Je me suis retrouvé dans une vigne. Je me suis dit que je ferais bien de partir de là, ce que j'ai fait. Deux secondes après les pieds de vigne volaient en éclats. Je peux dire que j'ai eu de la chance.

    Je suis descendu vers le canal en laissant le mousqueton dans le fossé. Il y avait des orties, mais je ne sentais pas leurs piqûres. J'ai traversé le canal et je suis allé vers la maison de l'éclusier. Je me suis caché dans l'appentis. Mais les miliciens m'ont retrouvé. Heureusement, je n'avais pas d'arme à la main, sinon ils me descendaient. On m'a bandé les yeux et on m'a expédié à Toulouse en compagnie de deux ou trois autres maquisards. On a fait étape à deux endroits. Les Allemands voulaient nous tuer. Les miliciens ont préféré nous garder vivants. Quand nous sommes arrivés à Toulouse, les miliciens nous ont fait coucher par terre et nous ont donné des coups de crosse en nous disant que nous serions fusillés.

    La prison était située dans l'école Sainte-Barbe. On s'est retrouvés dans un entrepôt avec d'autres résistants qui avaient été torturés. Il y avait des femmes avec les seins abîmés. Certains avaient les oreilles arrachées, les dents... Le bâtiment métallique dans lequel nous étions enfermés avait un toit arrondi. Il y avait un milicien de garde qui tirait dans tous les sens, tellement il avait peur que l'on se sauve. J'ai réussi à l’assommer avec un parpaing. Je ne sais pas si je l'ai tué. Nous sommes partis à trois. Nous sommes passés par les Pont-Jumeaux. Des gens nous ont recueillis et nous ont gardés une nuit, puis nous avons repris notre chemin vers le Nord. Il y avait des tirs dans tous les coins. Nous avons marché le long de la Garonne. On s'est fait prendre par la Résistance qui a cru que nous étions des miliciens. Ils nous ont enfermés dans une étable à cochons pendant un ou deux jours avant de nous relâcher. A Valence-d'Agen, nous retrouvons l’un des nôtres. Puis nous rentrons au château des « Tricheries ». Entre-temps les blessés ont été dirigés sur la clinique du docteur Boquet. Les morts sont veillés dans le château. 3 sont méconnaissables tellement ils ont été défigurés par les miliciens. John Torikian n’a pu être formellement identifié par son père que par ses chaussettes.

    Après mon retour dans le groupe, les « Dollé » sont partis dans le Cher au camp d'Avord, le 16 septembre. Je ne sais pas ce que nous sommes allés faire là-bas. On a mis trois ou quatre jours pour y aller. Tout était défoncé. Arrivés dans le camp, nous avons attendu puis on nous a demandé de redescendre. On s'est retrouvé au camp de Bias, près de Villeneuve-sur-Lot.

    Ensuite, je me suis engagé pour la durée de la guerre. Avec les copains, bien sûr. Aussitôt, nous sommes partis pour la Pointe de Grave. Là, les combats étaient durs. Un copain, devant moi, s'est retrouvé enseveli sous le sable. Nous sommes allés le dégager en utilisant nos casques. Quand on entendait 'Pam', c'était pour nous. Quand on entendait 'Pam'… 'Pam'…, ce n'était pas pour nous. Le plus mauvais, c'était les shrapnels, des obus qui 'pétaient' en l'air. Et les lance-flammes ! Ils mettaient ça sur le dos et déclenchaient une flamme de trente mètres de long. Les pins s'enflammaient comme des torches.

    A la Pointe de Grave, j'étais mitrailleur. On faisait partie du 34e R. I. sous le commandement du colonel Barril. On y a laissé beaucoup de copains. Vous savez le nombre de morts ? Je pense qu'il y en eut quatre cents.

    Quand on faisait des prisonniers, ils étaient toujours Lorrains ou Alsaciens pour que l'on ne leur fasse pas du mal. Ils se comportaient bien, on leur faisait nettoyer les fusils. Ils savaient très bien que pour eux la guerre était finie à partir du moment où ils étaient prisonniers.

    A la Pointe de Grave nous n’avions rien à manger. A part quelques boîtes de conserve, il n'y avait pas grand chose d'autre. Dans les lentilles du dimanche, il y avait autant de cailloux que de lentilles. Ils écumaient toutes les bestioles mortes. Des patates, ça il y en avait.

    Les gens du coin ne voulaient rien nous vendre. Mais il y en a qui ont fait fortune avec ça.

    Après la reddition allemande, on devait rejoindre la 1re Armée, mais on est parti en occupation en Allemagne. En Forêt Noire, on changeait souvent de coin parce qu'il ne fallait pas se lier avec les Allemands, avec les Allemandes surtout, car des Allemands, il n'y en avait plus. Ils étaient malheureux.

    En Allemagne, je m'occupais du mess des officiers, je leur faisais la cuisine. Dans chaque endroit où l'on cantonnait, j'allais trouver le bourgmestre pour avoir deux ou trois « Fräulein » destinées à la corvée de pluches. Je ne me fatiguais pas, je ne faisais que la cuisine avec les produits préparés. On a passé du très bon temps. Ces femmes étaient très gentilles. On avait relevé les Américains parmi lesquels il y avait des noirs. Les Allemandes ne pouvaient pas supporter les noirs. Elles avaient peur. Quand on a dit qu'on était français, l'accueil debenait excellent. Je connaissais quelques mots d'allemand et à la fin je me débrouillais bien. Puis vint la démobilisation. »

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